Les
jours défilent et la mort s'approche sur la pointe des pieds. Quoi
que l'on dise, que l'on pense ou que l'on oublie par simple peur ou
rejet, le jugement se joue dans une partie d'échecs. Et tandis que
la vie y est vouée, l'humanité cherche encore et toujours à le
repousser,repousser ses limites. Quand se rendra-t-elle compte que la
partie est perdue d'avance ? Je
pose des questions, mais vous n'y répondez jamais. Vous n'en posez
jamais, non plus, quelle ignorance ! Je vous regarde,
m'apercevez-vous dans ces yeux impassibles et taciturnes que sont les
vôtres ? Les miens vous fixent, dans l'espoir d'un regard vide de
sens mais empli de ma présence. Nous
sommes devant une table, chacun à une extrémité, sur laquelle
trône un jeu d'échecs en verre dont les pièces disparaissent une à
une du damier. Chacun de son côté élabore une stratégie visant
seulement à détruire l'autre de ses propres mains, soulevant ces
dernières sur le plateau sans jamais les croiser. Tranquillement
assit dans un divan de velours noir, vos doigts décrivent, en un
trajet assuré, le chemin de l'espiègle tour qui, sans plus tarder,
réduit un simple pion en poussière. De toute manière, ils ne
s'agit là que de morceaux de verre qui se dressent fièrement en
face de l'ennemi avant d'être abattu sans le moindre mal par ce
dernier. Alors ma main tremblante se dresse dans un nuage de cendres
cristallines, renverse la reine qui se relève péniblement, puis
déplace celle-ci à proximité de votre tour qui ne laisse
transparaître aucun signe de fatigue. Je replie mon bras sur le côté
de ma chaise chancelante, frôlant au passage la couronne du roi. A
quoi bon tout ceci ? Nous jouons au jeu truqué de la vie; un jeu
d'échecs falsifié dont je ne pourrai jamais m'approprier une unique
victoire. Avant
d'effectuer ne serais-ce qu'un geste de plus, ma voix s'élance dans
le silence. « Inutile. Tout ceci était inutile ». Je déplace
légèrement une pièce sans savoir laquelle. « Je n'aime pas que
l'on me mente. Je n'aime ni les illusions, ni les mensonges. »
Scrutant le plateau, les pions, votre roi, puis moi-même, j'aurais
aimé que votre visage n'exprime rien de plus que de
l'incompréhension. Ce
ne fut pas le cas, n'est-ce pas ? Un
sourire persistant s'affiche alors sur votre visage, au détriment de
vos habitudes, votre voix s'élança, fendant l'air et la poussière.
« Acceptez maintenant ce que vous n'avez jamais voulu admettre. Vos
paroles sont vaines, la réalité est là. Seule la folie peut faire
face à la mort, et je ne parle pas de la vôtre. » Vous observez
l'abject fou de verre noir, semblant constitué des cendres de ses
précédentes victimes, puis mon roi, angoissé, horrifié même.
Alors seulement, seulement à ce moment, je l'admet. Votre voix
s'élève dans la salle. «
Échec et mat. » Mon roi tombe, roule et se brise à terre en une
nuée abondante de fragments de verre noirci par la terreur. Ah
! La vie, quelle chose étrange.